Dernier jour sur Terre, David Vann

poche og1Bon. Les mots me manquent franchement pour commencer cet article. J’ai refermé le livre cette nuit à 2h et il fallait que je vous en parle de manière tout à fait urgente. Pendant que c’est encore chaud et vif dans ma mémoire, pendant que je suis encore tout entière habitée par son contenu.

Ce livre, pas bien gros, plutôt discret, qui n’est même pas paru en grand format mais directement en poche aux éditions Gallmeister, c’est Dernier jour sur Terre, du grand, GRAND David Vann, auteur également du très noir Sukkwan Island, prix Médicis Etranger en 2010. Et c’est par là que je vais commencer. Je n’ai pas pour habitude de vous embêter avec la biographie d’un auteur, mais pour éclairer cette oeuvre-là, toute son oeuvre même, il faut connaître son histoire. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de l’entendre parler à de nombreuses conférences au festival America de septembre 2014 (où tu dois ABSOLUMENT te rendre, c’est le paradis sur terre tous les deux ans, tous les grands auteurs americains se reunissent pour causer de littérature, tu peux pas rêver mieux). C’est un homme souriant, d’une gentillesse et d’un humour à toute épreuve, avec un grand sens de l’auto-dérision et une voix très douce. Je précise parce que lorsqu’on lit ses livres qui sont d’une noirceur absolue, ce ne serait pas ce portrait qui nous viendrait tout de suite à l’esprit ! (j’ai eu l’occasion de lui dire que j’avais fait lire Sukkwan Island à plusieurs amis et qu’ils m’ont tous détesté de leur avoir fait lire un livre si sombre pendant leurs vacances, ça l’a beaucoup fait rire).

David Vann a grandi en Alaska, dans une famille plutôt dysfonctionnelle (euphémisme) où les armes à feu font la fierté des hommes. Il a six ou sept ans lorsque son père lui offre sa première carabine à plomb, huit ans lorsqu’il reçoit un fusil de calibre .20, à neuf ans c’est une carabine Winchester. Il a onze ans lorsqu’il abat son premier cerf, sous les yeux de son père, son oncle et son grand-père. C’est une question de tradition masculine, on ne discute pas. Le cerf meurt sur le coup, il doit manger le coeur et le foie (tradition, on discute pas jt’ai dit) et il y retourne le lendemain. Mais cette fois, il rate son coup, blesse l’animal et doit se rapprocher pour l’achever à bout portant. C’est une exécution ; un vrai traumatisme. Dès lors, il s’arrangera toujours pour rater ses cibles.

A 13 ans, son père se suicide d’une balle dans la tête, c’est le début d’une réflexion et d’un deuil qui dure encore, et sa famille ne trouve rien de mieux que d’offrir toutes ses armes à David qui, pétri de culpabilité et de doutes, se met alors à tirer dans les lampadaires de sa ville, à viser les voisins dans leur salon sans jamais passer à l’acte. Qu’est ce qui l’en empêche ? Pourquoi n’a-t-il jamais appuyé sur la détente ?

C’est la question qu’il se pose dans ce livre. Mais pas seulement. Ce récit, c’est aussi et surtout l’histoire de Steve Kazmierczak, jeune homme de 27 ans qui ouvre le feu sur ses camarades de l’université le 14 février 2008, faisant 5 morts et 18 blessés en 3 minutes avant de se donner la mort. Comme Steve, David Vann fut le paria de son école, l’élément rejeté parce que trop différent. Comme lui il a souffert d’une famille possédant une vision de l’éducation bien personnelle, comme lui il a manipulé et été fasciné par les armes très tôt. Oui mais voilà, le parallèle s’arrête là. David Vann grandit, rencontre les bonnes personnes, se construit un mode de pensée différent ; il ne basculera pas.

C’est ainsi qu’il tente d’expliquer l’inexplicable, comment un enfant devient un tueur de masse en puissance. Là où la démarche est intéressante, et c’est grâce à cela qu’il a pu avoir accès aux dossiers de police et rencontrer les amis les plus proches de Steve, c’est qu’il part avant tout du caractère suicidaire de Steve (une demi-douzaine de tentatives pendant l’adolescence mais personne ne s’inquiète plus que ça), avant de s’intéresser au meurtrier ; une approche qui prend tout son sens quand on connaît la place du suicide dans sa vie.

Année après année, mois après mois, jour après jour et enfin heure après heure jusqu’à l’instant tragique, David Vann revient sur la souffrance de Steve, diagnostiqué bipolaire dès son plus jeune âge, risée de ses camarades de l’école élémentaire jusqu’au lycée, abandonné en foyer et bourré de médicaments, engagé dans l’armée avant d’en être renvoyé, il est en plus entouré d’un cercle d’amis baignant dans un racisme ordinaire dont ils n’ont même pas conscience, qui partage sa fascination pour les tueurs de masse, leur stratégie et leur passage à l’acte. Pour autant, tous sont sous le choc, ils dressent le portrait d’un mec extrêmement intelligent, serviable, gentil ; personne n’a rien vu venir.

Avec l’analyse de ce massacre organisé, David Vann dépeint en filigrane une Amérique malade de ses armes, qui laisse à l’abandon des soldats entrainés à tuer sans émotion, rongée par l’hypocrisie et impuissante face à la force des lobbys pro-armement qui distillent une propagande nauséabonde. Fatigué de se battre contre ces lobbys et face au silence et au mépris des américains face à sa lutte anti-armes, David Vann a d’ailleurs quitté les Etats-Unis et enseigne aujourd’hui en Angleterre et en Nouvelle-Zélande.

Un petit livre glaçant mais indispensable, dont il y a encore tant à dire, qui tente de faire surgir le gris (aucun rapport avec les 50 nuances de merde), quand on est trop souvent amené à penser en noir et blanc face à de tels actes. On ne peut pas pardonner, mais peut-être, peut-être, pouvons nous l’expliquer…

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